Le corps : se découvrir et découvrir
- boutetoriane
- 8 févr. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 oct. 2023
Le tout-petit n’est pas figé, il découvre le monde avec son corps. Le mouvement corporel permet de se découvrir, mais aussi de découvrir les autres. Vecteur de lien, de partage, le corps permet également de parler en ne disant rien.
Le tout-petit est par nature un visiteur émerveillé. Déjà dans le ventre de sa mère, il développe lors des premiers mois ses cinq sens. Il construit lui-même son éveil sensoriel. Cultiver son émerveillement passera par sa sensibilité, par des expériences physiques, et par le respect de son rythme. Il ne suffit pas de lui donner des outils, il faut l’accompagner. S’il nous voit sensiblement touchés par quelque chose, il reproduira cela et l’intégrera, à sa façon. Avant trois ans, un enfant retient plus facilement des éléments kinesthésiques. Il a besoin de se confronter, de rencontrer, de rêver. C’est grâce à sa curiosité qu’il développera au mieux ses principaux acquis. Il s’éveille par lui-même et pour lui-même. L’adulte devient alors un guide, un passeur dans ce processus de développement, mais aussi une personne de confiance qui rassure et protège.

©Cie La Croisée des Chemins
Laisser place aux émotions n’est pas un exercice foncièrement simple puisque cela relève de quelque chose de tout à fait personnel. Les laisser libres, en revanche, ne veut pas insinuer de les nommer
publiquement. L’expérience doit être vécue intérieurement. Celle-ci se trouvera indirectement partagée avec les autres en observant ceux qui nous entourent et en dialoguant.
Comment s’ouvrir aux formes de rencontre avec un enfant de moins de trois ans ?
L'enfant et son corps
Le tout-petit n’a pas directement conscience de son corps. Cela se développe par phases. Vers ses deux à trois mois, il peut volontairement mobiliser une partie de son corps, il faudra cependant travailler à l’articulation des « modalités sensorielles et motrices ». La reconnaissance de soi dans un miroir apparaît vers l’âge d’un an et demi. Les parents font souvent des jeux avec leur enfant, qui amène le bébé à se regarder dans un miroir. Tous ont donc déjà vécu cette expérience. En France, on a tendance à beaucoup parler aux bébés, ce qui en soit, est très bien et conseillé par les psychanalystes. Mais le langage ne se résume pas à la seule parole. En effet, le bébé apprend énormément des gestes de ses parents : « pendant toute la vie, une forme de sémiotique reste active, faisant de nos gestes des véhicules intra-verbaux de sens » . L’enfant prend d’abord conscience de son corps comme un schéma corporel. C’est-à-dire qu’il prend en compte le découpage des parties du corps et comment celle-ci s’articulent. Il a conscience de certaines parties puisqu’elles sont nommées. Par exemple, un parent dira « attrape le livre avec tes mains », mais il ne parlera pas d’anatomie.
Il bouge pour rencontrer, échanger, voir, découvrir, se faire voir, prendre du plaisir. Il bouge avec l’espace, avec le lieu où il se trouve. Il s’exprime avec son corps : des mimiques pour exprimer sa colère, courir pour exprimer sa joie de retrouver l’autre : « L’enfant bouge pour recueillir des sensations que son cerveau va traduire en informations qui lui permettront de progressivement s’adapter au monde »*.
*HERMET Gilles et JARDINÉ MARTINE (dir.), Le jeune enfant, son corps, le mouvement et la danse, Érès, 1996.
La danse
Qu’entendons-nous par « danse » pour un tout-petit ? Claude Magne, dans Le jeune enfant, son corps, le mouvement et la danse, nous parle de la danse comme une « recherche du geste explorateur et révélateur. Une danse faite non pour être belle, pour être vue, mais d’abord pour être vécue dans sa dimension intime et collective. Une danse liée à l’exploration des mouvements, attitudes et actions naturelles de l’enfant, inspiré de sa manière de vivre et d’imaginer la vie, et non un apprentissage, même savant, de pas ou de codes stylistiques préexistants ».
Véronique His, danseuse et chorégraphe, a donné des cours de danse dans une crèche. Elle nous parle du corps du bébé. Le tout-petit communique avec son corps, puisqu’il ne sait pas encore parler. Le bébé gigote, il balance ses bras et ses jambes et regarde partout, tout ce qu’il y a autour de lui est « une source d’inspiration ». Sur le sol, il peut se tourner, puis va commencer à s’assoir, se lever, et marcher. Toutes ces expériences provoquent du plaisir chez lui et chez celui qui le regarde : « L’enfant élabore, il garde en mémoire les sensations que ces expériences lui procurent […] Le corps est un magasin de mémoire »*. Véronique danse et joue entre le temps suspendu et le temps rythmé. Les enfants étaient très curieux de ces mouvements perçus.
*ESCHAPASSE Annick, « L’art et l’enfant : pertinence et enjeux des actions d’éveil culturelle et artistique. », Les cahiers de l’éveil, n°1.
La Compagnie La Croisée des Chemins
Delphine Sénard et Marion Soyer font partie de la compagnie « La Croisée des Chemins ». Leurs spectacles se veulent résonnants pour l’enfant et l’adulte. Déconstruire, tel est le but à l’origine de l’émergence des « spectacles à réactions libres ».

©Cie La Croisée des Chemins
Dans Laissezles danser !, les deux femmes y développent leur approche artistique et leur expérience avec les tout-petits, qu’elles travaillent depuis 2012. Aux prémices de leurs recherches, elles qualifiaient leur événement de « participatif ». Or, cette notion ne convient pas, car elle implique une participation et donc quelque chose de visible pour l’adulte, qui va avoir des attentes : regarder comment il agit, comment il participe. Pour elles, « l’observation […], comme toute activité cérébrale, émotionnelle, cognitive, sensitive, sensorielle, nous rend en réalité vraiment actifs […] ». Après une recherche des termes, la compagnie choisit de nommer leur représentation à « réactions libres » : « un spectacle à réactions libres est un spectacle pendant toute la durée duquel les tout-petits ont la possibilité de réagir librement aux stimuli reçus. […] ».
Pour la compagnie, c’est également un moment où l’adulte entre dans le monde de l’enfant. Les rôles s’inversent, on ne demande pas ici au tout-petit de s’adapter au monde de l’adulte. L’idée est de poser un nouveau regard sur l’enfant et de lâcher prise pour l’accompagnant.
Site web de la compagnie : https://lacroiseedeschemins.wixsite.com/compagnie
Ouvrage : SÉNARD Delphine et SOYER Marion, Laissez-les danser !, Compagnie la Croisée des
Chemins, 2020.
Comments